Points difficiles de droit civil :
La distinction entre erreur, vice caché et non conformité dans la vente.
La distinction entre ces trois notions n'est pas évidente à faire. Une note remarquable de M. Tournafond (Dalloz 1989, Chronique, 237) a beaucoup contribué à clarifier les choses, ne serait ce que pour l'auteur de ce document. La distinction entre l'erreur, le vice caché et la non conformité sera ici abordée par le commentaire de l'arrêt de la première chambre civile du 14 mai 1996 particulièrement intéressant. Ce commentaire très travaillé, parce que le sujet intéressait beaucoup son auteur ;), a recu la note de 16 (en TD). Nous espérons qu'il pourra vous être utile à vous forger une opinion quant à cette difficile distinction.
Dans sa recherche de la protection de l’acheteur et du contractant en général le droit a reconnu diverses actions à son profit dans le cadre de la vente. Il en est ainsi de l’action en nullité pour erreur, de l’obligation de délivrance conforme et de la garantie des vices cachés, longtemps confondus ou appliquées indifféremment, jusqu’à cet arrêt du 14 mai 1996.
Dans cette affaire, une personne avait acheté des tuiles qui se sont révélées vieillir prématurément. Le rapport d’expert conclut à un vice de fabrication mais l’acquéreur n’agit en justice que deux ans après les désordres pour réclamer des dommages et intérêts.
Le litige porté devant les tribunaux, le vendeur lui opposa le bref délai de l’article 1648, bref délai que la cour d’appel estima applicable en raison de l’origine du désordre mais dépassé en l’espèce, comme le soutenait le vendeur. Elle refuse également de rechercher la présence d’une erreur sur la substance.
L’acquéreur formant un pourvoi contre cette décision, reproche à la cour d’appel d’avoir refusé de considérer qu’il y avait manquement à l’obligation de délivrance conforme alors que le vice rendait nécessairement la chose non conforme à ce qui était demandé. Il reproche également à la juridiction du fond de ne pas avoir recherché l’existence d’une erreur alors que l’achat d’un matériel vicié constitue nécessairement une erreur sur la substance pour l’acquéreur de la chose. En outre, il considère que la cour d’appel n’a pas justifié sa considération de dépassement du bref délai.
Il s’agissait donc pour la cour de cassation de déterminer si le vice de la chose était susceptible de constituer un manquement à l’obligation de délivrance conforme du vendeur et une erreur sur la substance de la part de l’acheteur, donnant droit à l’attribution de dommages et intérêts.
La cour de cassation rend une réponse négative à cette question et rejette le pourvoi. Elle considère en effet que " la cour d’appel a exactement déduit que l’impropriété ne résultait non pas de ce que les produits vendus sont différents de ceux objets de la commande, mais de ce qu’ils sont affectés d’un vice " et que " la garantie des vices constituant l’unique fondement possible de l’action exercée, la cour d’appel n’avait pas à rechercher si M. Chavanne pouvait prétendre à des dommages et intérêts sur celui de l’erreur ". La garantie posée par l’article 1641 se distingue donc des deux autres actions et en présence d’un vice est la seule à s’appliquer.
L’apport de cet arrêt est incontestable au point de vue de la distinction des différentes actions offertes à l’acquéreur d’une chose. L’arrêt du 14 mai 1996 est le premier arrêt où la cour de cassation cherche véritablement à donner une place à chacune des actions d’un acheteur mécontent (non-conformité, vice caché, erreur). En cela, cette seule intention de la jurisprudence est remarquable et appréciable. Mais cet arrêt nous démontre aussi qu’il est essentiel pour la cohérence juridique et la pratique que les actions soient fondées sur des notions claires.
La cour de cassation n’innove dans cet arrêt qu’en matière d’erreur sur la substance apportant ainsi à la distinction des actions un acquis supplémentaire. Mais si les fondements de la distinction entre non-conformité et vices cachés apparaissent comme établis, la cour de cassation n’explicite guère ceux de la distinction entre erreur et vice caché. En cette matière pourtant ce sont les fondements qui feront les solutions. Ainsi dans cet arrêt peuvent être opposé la justification de la distinction des obligations du vendeur et l’intention de distinguer la garantie de l’erreur.
C’est afin d’étudier ces deux aspects de l’arrêt du 14 mai 1996 que nous nous attacherons dans une première partie à examiner les justifications de la distinction de la garantie des vices et de l’obligation de délivrance avant d’aborder dans une seconde partie, l’intention manifestée de distinguer l’erreur de l’obligation de garantie.
La justification de la distinction de la garantie des vices et de l’obligation de délivrance.
La distinction de la non-conformité et du vice caché opérée par la cour de cassation est fondée sur des considérations tant pratiques mais contraire à celles du pourvoi (A.), que théoriques (B.).
La justification pratique de la distinction.
L’intérêt du pourvoi à échapper au régime de 1641 et s.
Le pourvoi fait grief à l’arrêt " d’avoir dit que les défectuosités invoquées constituaient un vice caché et non pas une non-conformité, décidé que M.C. n’avait pas agi dans un bref délai … ". Ces deux considérations, moyen du pourvoi sont étroitement liée. Le pourvoi cherchait avant tout à échapper à l’application de l’article 1648 du code civil exigeant que l’action en garantie des vices cachés soit intentée dans un bref délai. Il tente donc de démontrer à la fois que le bref délai n’était pas dépassé et qu’il n’était pas nécessaire.
Pour ce faire il adopte un raisonnement a fortiori, et s’appuie sur une autre obligation du vendeur, l’obligation de délivrance conforme de la chose. Il considère en effet qu’une chose atteinte d’un vice ne saurait être conforme à l’objet recommandé. En cela le vendeur a manqué à son obligation de délivrance et peut être sanctionné sur ce fondement. Cette argumentation qui prend pour point de départ la satisfaction de l’acheteur par l’obligation de délivrance, a été pendant longtemps adopté par la première chambre civile de la cour de cassation, qui considérait, comme le pourvoi qu’une chose viciée ne répondait pas aux besoins de l’acheteur, et que le vendeur en était par conséquent responsable sur le fondement de l’article 1604.
L’intérêt de la cour de cassation d’éviter une supplantation de la notion de non-conformité.
Cette " théorie " de la cour de cassation a cependant été abandonnée, après avoir été reprise par la cour de cassation en assemblée pleinière (AP 7.2.1986). La première chambre civile (et la chambre commerciale) est ainsi revenue sur sa position toujours condamnée par la troisième chambre, en raison des inconvénients que celle ci apportait. D’un point de vue pratique, la cour de cassation en traitant le problème de la non-conformité sous l’angle de la satisfaction de l’acheteur, en venait à supplanter totalement la garantie des vices qui met en place un régime beaucoup plus strict. Ainsi en présence d’un vice la vente pouvait être résolue trente ans après celle ci en application de la prescription de la responsabilité contractuelle.
Cette supplantation de la garantie des vices conduisait de plus la cour de cassation à prendre en compte un élément implicite dans la vente. Dès lors de nombreux acheteurs ont prétendu que l’objet bien que non vicié et conforme à ce qui était contractuellement prévu ne les satisfaisait pas. La logique était de leur accorder la résolution, ce que la première chambre civile fit. Mais les actions se multipliaient, et la force obligatoire du contrat s’en trouvait, tout comme la position des vendeurs très affaiblis. De plus une partie du code civil ne trouvait plus du tout à s’appliquer, et la jurisprudence était partagée de manière radicalement opposée entre la 3e chambre civile et la 1ère chambre civile, ce qui entraînait une sorte de loterie dans l’exercice d’un pourvoi. Tout cela conduisit à un revirement de la première chambre civile tout au long de l’année 1993, revirement justifié juridiquement.
La justification théorique de la distinction.
La cause de l’insatisfaction diffère.
La cour de cassation reprend les termes de la cour d’appel pour poser que l’impropriété " résulte non pas de ce que les produits vendus son différents de ceux objets de la commande, mais de ce qu’ils sont affectés d’un vice ". La cour de cassation se livre donc, à travers l’appréciation de la cour d’appel, à une analyse de la cause de l’insatisfaction. Lorsque celle ci réside dans un vice de la chose, ce sont les articles 1641 et s. qui s’appliquent. Lorsqu’en revanche il y a une différence entre les produits vendus et ceux objets de la commande, il y a non-conformité. Cette argumentation qui n’est que celle de la cour d’appel ne nous paraît pas opportune et la cour de cassation aurait du préférer ne pas reprendre celle ci qui ne se coordonne pas avec l’énoncé du principe que les vices cachés se définissent comme un défaut rendant la chose impropre à sa destination normale
En effet, si l’on analyse plus en détail ce moyen on s’aperçoit que le raisonnement de la cour d’appel, explicité par la cour de cassation semble dire que l’impropriété de la chose à sa destination normale résulte non pas de ce que les produits sont différents de ceux commandés, mais de ce qu’ils sont affectés d’un vice. Or justement la non-conformité ne s’apprécie pas au regard de l’impropriété à la destination normale…la non-conformité consiste dans l’impropriété de la chose à satisfaire les besoins exprimés dans le contrat. Il convient donc d’établir à quoi la chose est impropre. Au terme de cette recherche, la seule présence d’un vice, rendant la chose impropre à sa destination normale, entraîne l’application des articles 1641 et s. ce qui fait dire à certains auteurs que la garantie des vices cachés constitue une règle spéciale dérogeant à la règle plus générale de délivrance conforme qui l’englobe. Cette considération (qui n’est pas appuyée par les développements récents en matière de responsabilité du fait des produits défectueux) nous paraît cependant erronée, car au-delà des causes d’insatisfaction, la nature et la fonction des obligations diffèrent totalement et ne se recoupent pas.
La nature des obligations diffère.
En effet, au-delà de la mauvaise formulation de cet arrêt, la formule retenue par la cour de cassation pour la définition du vice nous éclaire sur les différences entre les deux obligations principales du vendeur. " Le vice caché se définit comme un défaut rendant la chose impropre à sa destination normale ". Ce qu’il convient essentiellement de retenir de cette définition c’est que le vice fait référence à la destination normale de la chose. Le vice ne fait référence qu’à la chose. C’est un accident, un élément qui peut exister mais qui fait défaut dans le cas présent et qui, exigence de gravité, affecte la destination normale, théorique de la chose. Le vice considéré comme un accident, fait l’objet d’une obligation de garantie, c’est à dire d’une obligation où l’idée de faute est absente. Affectant la destination normale, la garantie du vice est transmise aux acquéreurs futurs…
Au contraire, l’obligation de délivrance conforme vise à sanctionner un vendeur ayant livré une chose ne satisfaisant pas les exigences du contrat. Mais cette insatisfaction ne réside pas dans un " accident ", dans un élément structurel défaillant de la chose, même connu du vendeur, elle réside dans le non-accomplissement des bonnes obligations quelle que soit la qualité de la chose. La non-conformité est ainsi l’impropriété de la chose dans sa destination normale à satisfaire les exigences du contrat. Une chose peut ainsi être atteinte d’un vice et tout à la fois ne pas pouvoir répondre aux exigences contractuelles une fois réparée. La conception posant que la garantie des vices est un texte spécial dérogeant à l’application d’un texte le recouvrant, l’article 1604 aboutit aux mêmes solutions, mais ce n’est pas semble-t-il le moyen utilisé par la cour pour écarter l’application de l’article 1604.
Ainsi la cour de cassation confirme-t-elle au sein de cet arrêt la distinction entre la non-conformité et les vices cachés. Mais surtout la cour de cassation manifeste ici sa volonté de compléter la distinction des actions et d’écarter la possibilité d’une erreur en présence d’un vice caché.
L’intention manifestée de distinguer l’erreur de l’obligation de garantie des vices.
La cour de cassation manifeste en effet par un rejet particulier du pourvoi son intention nouvelle et opportune de considérer qu’en présence d’un vice proprement dit, la garantie des vices constitue l’unique fondement de l’action de l’acheteur (A.), mais malheureusement le fondement de cette nouvelle distinction n’est pas explicité par la cour (B.)
La garantie des vices comme unique fondement de l’action.
Une confusion jusque là problématique.
" Celui qui achète une chose impropre à l’usage pour lequel il en a fait l’acquisition commet une erreur ". Le pourvoi considérait par un raisonnement tout aussi a fortiori que le premier que la personne acquérant une chose viciée commettait par là même une erreur au sens de l’article 1110 du code civil. Le raisonnement pouvait paraître tellement naturel que la cour de cassation l’a pendant longtemps adopté, n’arrivant pas à trouver de critère pour écarter l’erreur sur la substance, ou sur les qualités substantielles de la chose de la garanties des vices. On ne se place pas en effet ici sur l’erreur sur les motifs qui est depuis longtemps rejeté par la cour de cassation. Le motif de l’achat est en effet de satisfaire un usage, et ce motif ne change pas, c’est la chose dans sa substance qui ne permet pas d’y remédier.
Mais là encore, comme pour la non-conformité la cour de cassation du faire face à des problèmes. En effet la notion d’erreur permettait non seulement d’avoir un délai de prescription plus long (5 ans) mais aussi et surtout, ce que ne permettait pas automatiquement la non-conformité, d’obtenir l’anéantissement de la vente. La cour de cassation a donc cherché à encadrer le problème. Dans les années 60, elle décida que l’action en nullité pour erreur fondée sur un vice de la chose, devait être intentée dans le délai de l’article 1648. Cette décision ne manque pas d’originalité. La cour de cassation contourne ici les textes d’une manière qui n’est pas du tout à son honneur, ce qu’elle ressentit puisqu’elle revint de temps à autres sur cette décision… pour enfin trouver la meilleure solution.
La fin de la confusion.
Le pourvoi prétend que " La victime de l’erreur peut prétendre à des dommages et intérêts même si le contrat n’est pas annulé ". L’action intentée par le pourvoi sur le fondement de l’erreur était une action en dommages et intérêts. Or l’erreur est un vice du consentement, exclusif de toute idée de faute de la part du vendeur. Si l’erreur peut être conjuguée avec l’idée de dol et être indemnisée par des dommages et intérêts c’est sur le fondement de ce dernier et par le biais de la responsabilité délictuelle (1382). En aucun cas une erreur ne peut en tant que telle permettre l’attribution de dommage et intérêt. Le moyen du pourvoi était donc rejetable sur le fondement de cette simple considération et aurait permis à la cour de cassation d’écarter la question de l’erreur (si problématique) à cette espèce. Il n’en est pourtant rien puisqu’elle considère que " la garantie des vices cachés constituant l’unique fondement de l’action exercée, la cour d’appel n’avait pas à rechercher si M.C. pouvait prétendre à des dommages et intérêt sur celui de l’erreur ".
La cour de cassation ne sanctionne donc pas le raisonnement du pourvoi, elle irait presque même jusqu’à l’admettre afin de lui opposer le fait que de toute façon une action sur le fondement de l’erreur était impossible. La cour ici cependant ne nous informe pas de la raison de cette exclusion de l’erreur. Les partisans de la garantie des vices cachés comme texte spécial dérogeant à tout autre ayant un domaine d’application le recouvrant (cas de l’erreur et de la non-conformité) trouvent ici un argument pour dire que la cour de cassation adopte ce raisonnement. Cela semble un peu hâtif cependant, car si la garantie constitue l’unique fondement de l’action, la cour de cassation a justifié l’exclusion de la non-conformité dans le moyen précédent et justement pas en application de la méthode d’exclusion précitée développée notamment par C.Radé (in L’autonomie de l’action en garantie des vices cachés JCP 1997.I.4009), mais en distinguant les divers domaines des actions. La distinction n’est seulement pas explicité ici.
Le fondement implicite de cette exclusion de l’erreur.
La nature du dommage diffère
Pourtant cette distinction existe. En effet l’erreur et la garantie des vices n’ont pas du tout le même domaine d’application. Cela s’illustre d’ailleurs par le fait que l’erreur sanctionne un vice dans la formation du contrat, tandis que la garantie d’adresse au vice dans l’exécution du contrat. L’erreur sur les qualités substantielles de la chose constitue un vice du consentement, c’est à dire un défaut dans le consentement, ici, de l’acheteur. L’erreur s’apprécie donc, comme la non-conformité, au regard de la personne de l’acheteur, de ses attentes et demandes. L’erreur vise à protéger l’acheteur ayant acquis une chose en croyant qu’elle possédait une qualité propre et substantielle qu’elle ne possède finalement pas. L’erreur sanctionne une qualité que la chose ne possède pas et ne possédera jamais, tandis, qu’une fois encore la garantie des vices sanctionne un défaut que la chose possède alors qu’elle aurait pu et du ne pas en être atteinte.
Cela explique là aussi la différence de sanction des actions. L’erreur est sanctionnée par la nullité de l’acte, parce qu’il n’y a aucun moyen de satisfaire l’acheteur qui ne trouve pas dans la chose une qualité qu’il croyait qu’elle avait (ainsi d’un tableau signé mais non authentique) tandis que la garantie des vices permet outre la réparation du bien, l’attribution de dommages et intérêts diminuant le prix de la chose, voir même permettant sa réparation (ainsi d’une démolition d’une maison pour la reconstruire) visant à sanctionner le fait que le vendeur vende un bien tout en sachant que celui ci n’est pas apte à fonctionner correctement.
Un fondement à expliciter.
La cour de cassation n’adopte cependant pas encore ce raisonnement. Elle se contente de manifester la fin d’une jurisprudence totalement aberrante tant dans ses fondements que dans ses solutions. L’arrêt du 14 mai 1996 est ainsi un progrès incontestable vers l’appel au retour d’une distinction conceptuelle des notions telle qu’appelée de ces vœux par la doctrine (cf. O. Tournafond in Les prétendus concours d’actions et le contrat de vente D.1989 Chr.237). Cet arrêt met ainsi fin à une jurisprudence regrettable de la cour de cassation qui démontre que la surprotection de l’acheteur par la jurisprudence peut conduire à provoquer des confusions juridiques graves. La cour de cassation cesse de rechercher ces confusions, mais semble encore dans cet arrêt avoir du mal à développer les fondements des distinctions.
Ceux ci devraient pourtant être développés, et l’on ne peut que souhaiter de nouvelles explications dans les jurisprudences à venir. Si en matière de vice, le débat sur les fondements de l’action au sein de la doctrine peut apparaître comme de faible importance, la distinction entre l’erreur et les vices cachés ne peut se permettre de ne résider sur aucun fondement précis. Il convient ici d’expliquer pourquoi l’action pour erreur est exclue en présence d’un vice. Une fois cette explication donnée, alors la cour de cassation pourra adopter des solutions aussi tranchée que celle ci sans encourir de critiques.
Dernière mise à jour : 27 mars 1999