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La cause répond à la question du pourquoi. Comme nous l'avons vu dans les causes de nullité, elle se comprend de deux manières (et est sanctionnée de deux nullités différentes) ; la question pourquoi se subdivise "classiquement" en pourquoi je m'oblige ? et pourquoi je contracte ? A ces deux questions vont répondre deux intérêts : la cause immédiate et la cause finale.
La cause immédiate est appelée cause objective, parce que la volonté s'exprimant en principe à travers un mécanisme juridique, une structure contractuelle prédéfinie et constante, l'intérêt, le résultat est toujours le même, l'obligation contractée vise toujours à obtenir quelque chose d'identique. Ainsi en est il du vendeur, qui aliénant sa chose, cherche à en obtenir le prix, du salarié, qui contre son travail veut une rémunération... Dès lors qu'un vendeur veut s'engager dans un contrat de vente, il veut obtenir un prix.
Cette cause, selon la loi, interprétée par la jurisprudence, doit exister. C'est ce qu'il ressort de l'article 1131 (et des articles suivant) : "L'obligation sans cause, ou sur une fausse cause, ou sur une cause illicite ne peut avoir aucun effet".
On remarquera que la condition ici visée est l'existence d'une cause, il n'y a donc pas de confusion possible avec la question de la détermination du prix qui a pu agiter doctrine et jurisprudence. Il s'agissait là d'une question portant sur l'objet de l'obligation, non sur l'existence de celle ci.
Le moins que l'on puisse dire est que cette exigence de cause objective est parfois étonnante, voir gênante dans certains cas. Nous les aborderons ici successivement.
Dans les contrats synallagmatiques, tels que la vente, le bail, la cause de l'obligation d'un contractant se trouve dans l'obligation de l'autre. C'est en effet cette dernière qui motivera immédiatement et objectivement le contractant dans sa volonté de s'obliger. Un vendeur à qui l'on dit qu'il ne percevra pas de prix n'aura guère l'intention de s'obliger à transférer la propriété. S'il l'avait malgré tout alors que le versement du prix était exclu, la convention serait nulle. La jurisprudence a récemment rapproché de cette situation d'absence de contrepartie, les contrats limitant la responsabilité du prestataire de service dans la non exécution de sa mission. Il s'agit ici de l'arrêt " Chronopost " du 22 octobre 1995 qui a fait l'objet de nombreux partiels...
Il convient cependant ici de souligner l'exigence d'une publicité de l'exclusion du prix au sein du contrat. Si le contrat de vente prévoyait deux obligations réciproques mais que l'une d'elles venait à être anéantie par l'effet d'un autre contrat entre les parties, on serait alors dans une hypothèse de simulation de donation en vente, et la cause d'une donation n'est évidemment pas le prix de la vente.
Pour en revenir au contrat synallagmatique, il convient ici de rappeler que l'exigence de contrepartie est une condition de validité du contrat, visant la protection d'une partie (d'où la relativité de la nullité). Si la jouissance des locaux donnés à bail est exclue alors le contrat est nul mais ne sera pas mal exécuté.
Pour autant la notion de cause connaît implicitement des développements au sein de l'exécution de la convention. Lorsque la convention est mal exécutée, l'exception d'inexécution est fondée sur l'idée que la cause de l'obligation n'étant pas fournie, l'obligation n'a pas à être elle-même exécutée.
Un développement encore plus intéressant mais autant controversé a été donné par un arrêt du 16 décembre 1986 à propos de la théorie de la cause partielle. L'idée est qu'une convention initialement causée, perd ca cause lorsque la contrepartie est inexécutée. Dans l'arrêt du 16.12.86 la 1ère chambre civile relève que "sans méconnaître que la cause élément nécessaire à la constitution du contrat, doit exister au jour de la formation de celui ci, la cour d'appel a retenu à bon droit que l'inexécution par X de son obligation à prestation successive justifiait la demande de Y en restitution d'une partie de la somme qu'il avait versé en exécution de son engagement réciproque et corrélatif" (ce qui s'apparente à une nullité, et non à une résolution avec compensation). On remarquera que la cour de cassation emploi parfois l'expression de "convention initialement causée".
Cette considération de contrepartie, qui n'existe pas dans les contrats tels que les promesses de vente, s'analyse alors logiquement comme l'espoir de l'obtention d'une contrepartie par l'intermédiaire de la levée de l'option.
On peut rapprocher de ces derniers contrats (même si la confusion ne doit absolument pas se faire entre eux deux) les contrats aléatoires, dans lesquels l'existence de l'aléa est bien évidemment une condition à l'existence de la cause. Le déséquilibre est en effet motivé par l'existence de l'aléa. Si celui ci n'existe pas, le déséquilibre, l'obligation n'est pas causée. De même en présence d'une condition potestative ; l'existence d'une condition potestative, dès lors qu'elle porte sur l'ensemble des obligations du débiteur, ou du moins sur son obligation principale, alors le caractère potestatif retire sa cause à l'obligation du contractant (Civ1. 16.4.1996 n°184)
La question de la cause se fait plus délicate pour les contrats unilatéraux.
En ce qui concerne les libéralités, la solution retenue a été de considérer que la cause de l'obligation du gratifiant réside dans les motifs déterminant de celui ci (civ1. 6.10.1959 D60.515). On notera ici que la cause de l'obligation est assimilée à la cause du contrat. La démarche n'est pas si illogique que cela dès lors que l'on remarque que l'obligation est le seul effet du contrat. Il apparaît normal que ce rapprochement 1 contrat 1 obligation opère un rapprochement des causes.
Dans ces libéralités la cause visera donc à sanctionner le défaut d'intention libérale. A ce titre la cause fera souvent l'objet de double emploi, avec les vices du consentement (violence, erreur, dol) - mais pas nécessairement (erreur inexcusable...) - qui sont les vrais éléments qui vicient le contrat si l'on considère que l'intention libérale reste une donnée subjective.
Cette remise en cause, variation de la définition de la notion qui surgit plus ou moins de ces développements sur la cause dans les libéralités se retrouve encore davantage dans d'autres contrats unilatéraux.
Les premiers sont les contrats réels, tels que le prêt, le dépôt... Doctrine et jurisprudence, face à l'exigence de l'article 1131 ont considérés que la cause de l'obligation de l'emprunteur, du déposant, réside dans la remise de la chose (Civ. 20.11.1974 jcp75II18109). La solution peut se comprendre : Sans remise des fonds comment obliger l'emprunteur à restituer ? La remise de la chose, qui constitue par essence une condition de validité de ces contrats peut donc tout à fait constituer la cause (également nécessaire à la validité de la convention, selon 1131) de l'obligation du débiteur.
Pour autant il convient de se garder de rapprocher cette remise de l'idée de contrepartie car outre que l'on se situe ici dans des contrats unilatéraux et que l'exécution de ceux ci n'a en principe rien à voir avec leur formation, la cour de cassation se garde d'une telle assimilation et préfère parler de mise à disposition plutot que d'obligation de mise à disposition. L'originalité de la cause dans les contrats réels unilatéraux doit être soulignée.
Les seconds sont les contrats constitutifs de sûretés tels que le cautionnement. Dans le cautionnement la caution s'engage directement à l'égard d'un créancier à payer la dette d'autrui. Quelle est la cause du contrat de cautionnement ? celle ci est elle l'existence d'une convention principale entre le créancier et le débiteur ou plutôt les rapports entre caution et débiteur ? Ces derniers peuvent en effet être très proche, ce qui motivera alors le cautionnement sans pour autant qu'il puisse s'analyser en une libéralité (la caution conservant un recours contre le débiteur pour qui elle a payé). Le cautionnement peut également être rémunéré, non par le créancier mais par le débiteur (ce qui est le cas lorsque le cautionnement est fourni par des sociétés professionnelles de caution).
La cour de cassation a cependant considéré que la cause du cautionnement résidait au contraire dans la relation contractuelle du créancier avec son débiteur. Selon un arrêt " Lempereur " du 8 novembre 1972 la cause du cautionnement consiste "dans la considération de l'obligation prise corrélativement par le créancier, à savoir l'ouverture de crédit". Par extension elle peut résider également dans la perspective de l'octroi d'un crédit. Cette définition jurisprudentielle est remise en cause par la doctrine. Outre que l'arrêt fondateur de cette position jurisprudentielle est critiqué quant à des considérations d'espèces, certains se demandent quelle est la cause d'un contrat de cautionnement intervenant après l'ouverture de crédit, et quelle est l'utilité de la cause dès lors que le principe de l'accessoire existe par lui même (via l'objet du cautionnement). Les auteurs soulignent que le but poursuivi n'est pas l'existence d'une obligation principale.
Pour n'engager que le rédacteur de cette "notion de cours", il convient cependant de remarquer que s'il est vrai que le but poursuivi ne réside pas dans la relation principale créancier-débiteur, force est de constater que la cause débiteur-caution dont on parle alors a tendance à s'assimiler à une cause subjective, ne serait ce que dans son approche même. Elle variera en fonction des types de cautionnement (onéreux, gratuits..). Certes celle ci peut constituer une cause objective du cautionnement : contrepartie pécuniaire, intention libérale, mais elle peut n'impliquer ni contrepartie, ni intention libérale et le cautionnement s'analyser comme un simple service d'ami (conservation des recours) qui n'en reste pas moins valable. Où trouver une cause objective dans le cautionnement service d'ami ? Je n'y suis pas arrivé, sauf à la faire résider dans la simple existence d'un recours (théorique) contre le débiteur. La jurisprudence a sans doute voulu simplifier. Elle n'a donc pas aligné le cautionnement sur la délégation, où la cause réside dans le rapport juridique déléguant - délégué. La situation en l'état actuel de mes connaissances ne me semble pas identique entre le cautionnement et la délégation (rapport juridique en tant que tel toujours présent dans la délégation). Elle a choisi de faire résider la cause du cautionnement dans la cause de l'obligation même du débiteur. Cette vision de la cause objective est inutile ici (elle ne le serait pas plus dans l'hypothèse d'une cause résidant dans les rapports caution-débiteur... inopposables au créancier), mais elle répond au moins à l'exigence de cause posée par le code civil et s'inscrit de plus dans la perspective d'accessoire du cautionnement.
A coté de cette cause objective, la jurisprudence a dégagé la cause subjective. Son existence n'est pas exigée, mais sa licéité l'est.
La cause subjective qui correspond à la motivation du contractant doit être licite. La préoccupation ici de la loi est celle de l'article 6 du code civil, repris par les articles 1131 et 1133. la licéité de l'acte n'est pas en cause. En tant que tel celui ci n'est pas réprimable, mais la loi le sanctionne en raison du motif qui a motivé le contrat.
Il est en effet des actes licites accomplis dans un but illicite, ou contraire au bonnes mœurs. ainsi d'une vente d'un immeuble motivé pour l'acquéreur par l'intention d'en faire une maison close, d'un prêt conclu par un emprunteur pour investir les sommes dans le jeu, même de casino. Face à ces actes le juge sanctionne sur le fondement de l'illicéité de la cause.
Cependant cette sanction n'est pas absolue. Il existe des conditions qui ne s'appliquent cependant pas aux contrats à titre gratuit où la seule motivation du gratifiant par un motif illicite (telle que l'entretien de rapport adultère) est de nature à entraîner la nullité absolue du contrat.
La jurisprudence a au départ exigé que l'illicéité soit le motif déterminant des deux parties au contrat, afin de protéger le contractant qui ne s'était pas déterminé par un tel motif d'une annulation du contrat. "Un contrat de bail ne comporte pas une cause illicite dès lors qu'il n'est pas prouvé que l'exploitation dans les lieux loués d'une maison de tolérance ait été convenue entre les parties" (civ1 4.12.56).
Cependant on remarquera que cette position protégeait le contractant certes ne s'étant pas déterminé par de tels motifs mais ayant accepté de contracter en connaissance de ceux ci. La jurisprudence a donc apporté une correction, dans un arrêt du 12.7.1989 elle relève que la convention est nulle dès lors que le motif illicite était connu du contractant ne le partageant pas.
Un problème persistait, qui était celui du contractant n'ayant pas connu le mobile illicite mais, ne supportant pas l'idée d'avoir participé à sa réalisation, cherche à obtenir l'annulation du contrat. Un arrêt récent du 7 octobre 1998 (cité sur Jurisweb) pose "qu'un contrat peut être annulé pour cause illicite ou immorale, même lorsque l'une des parties n'a pas eu connaissance du caractère illicite ou immoral du motif déterminant de la conclusion du contrat". La solution peut être critiquée car l'intérêt de celle ci ne serait que de permettre au contractant "victime" du motif illicite de demander l'annulation, or en l'espèce celui ci ne semble pas être le demandeur, même s'il n'était pas ici le défendeur. Est ce à dire que le contractant n'ayant pas eu connaissance du motif illicite peut en devenir la victime par l'effet d'une annulation... ? il semble prudent d'attendre d'autres arrêts..