SOMMAIRE DROIT CIVIL | SUJETS D'EXAMEN |
Le journal France-Dimanche a consacré les pages 1 et 6 de son numéro 1503 du 23 juin 1975 à ce qu'il appelait "les fiançailles surprises de Caroline de Monaco". - A l'aide de titres, de photographies et du texte d'un article, il prétendait informer ses lecteurs sur la réalité des relations que des rumeurs prêtaient alors à la princesse Caroline et à Philippe Lavil, "chanteur à succès milliardaire". - Une affiche présentée à l'étalage des vendeurs de journaux appelait l'attention du public par l'annonce, en gros caractères, de ces "fiançailles surprises".
Soutenant que cette publication porte atteinte à leur vie privée, le prince Rainier III et la princesse Grace de Monaco ont assigné la Société France Edition et Publication en paiement de 250 000 F de dommages-intérêts. Ils demandent en outre l'insertion du jugement sollicité dans France-Dimanche et dans trois autres journaux.
La société défenderesse résiste à cette demande, au motif que l'article incriminé ne fait que reprendre, pour les démentir, des rumeurs déjà publiées par la presse. - Elle ajoute que la vie de la princesse Caroline, personnage public, et à ce titre objet d'une curiosité légitime, a donné lieu à de nombreuses publications contre lesquelles elle n'a pas protesté - subsidiairement elle soutient que le préjudice allégué n'est pas démontré.
LE TRIBUNAL : - Attendu que la vie sentimentale d'une jeune fille présente un caractère strictement privé et que l'art. 9 c. civ. interdit de porter à la connaissance du public les liaisons, véritables ou imaginaires, qui peuvent lui être prêtées ; que l'auteur de semblables divulgations ne saurait trouver ni justification ni excuse dans le fait qu'elles seraient l'écho d'indiscrétions antérieures ;
- Attendu qu'il importe peu que la victime de tels agissements soit, comme en l'espèce, une personne investie, par sa naissance ou ses fonctions, d'un caractère public, aussi longtemps qu'aucune annonce officielle n'est venue autoriser la publication des faits considérés ; qu'à cet égard l'un des titres utilisés par France-Dimanche : "Grace et Rainier gardent le silence", constitue à lui seul un aveu de la faute commise ;
- Attendu en conséquence qu'aucune considération tirée d'un prétendu devoir d'informer ses lecteurs ne peut être retenue à la décharge de la Société F.E.P., alors que la publicité tapageuse qu'elle a utilisée démontre son désir d'éveiller dans le public une curiosité de mauvais aloi ;
- Attendu en outre qu'il n'est pas allégué que les photographies incriminées aient été prises au cours de manifestations officielles ; que pas davantage les personnes représentées ne se trouvent au milieu d'une foule mais qu'elles apparaissent isolément grâce au cadrage réalisé par le photographe, sans qu'il soit prétendu que celui-ci avait été autorisé à réaliser de tels clichés ; que leur publication à l'appui des textes ci-dessus résumés constitue donc une faute supplémentaire ;
- Attendu que du fait des ces atteintes à la vie privée de la princesse Caroline, le prince Rainier III et la princesse Grace sont fondés à demander réparation d'un préjudice qui les touche en tant que parents et qui atteint, par delà leur personne, la famille souveraine dont ils sont les représentants ;
Atendu que ce préjudice qui est aggravé par la répétition des actes illicites commis par Sté F.E.P. sera réparé par le paiement des dommages-intérêts et l'exécution de la mesure de publication qui seront ci-dessous précisés ; - Attendu qu'il n'y a pas lieu d'exécution provisoire ;
Par ces motifs, condamne la Sté France Edition et Publication à payer au Prince Rainier III et à La princesse Grace de Monaco la somme de 50 000 francs à titre de dommages-intérêts ; ordonne la publication du texte intégral du présent jugement à la première page de France-Dimanche, surmonté du titre suivant, en caractères de deux centimètres de hauteur : "Jugement du tribunal de grande instance de Paris, condamnant France-Dimanche pour atteinte illicite à la vie privée"; dit que cette publication devra être effectuée dans la quinzaine qui suivra le jour où le présent jugement aura définitivement acquis l'autorité de la chose jugée ; dit n'y avoir lieu à exécution provisoire ; condamne la Sté F.E.P. en tous les dépens.