Dans cet arrêt le Conseil d'Etat devait se prononcer sur un différent juridique opposant le commissaire de la République (préfet) de la région Bretagne et du département d'Ile et Vilaine à la commune de Fougères. Cette commune avait pris une décision d'augmentation des prix des restaurants scolaires le 12 janvier 1986 en méconnaissance d'un arrêté préfectoral du 28 décembre 1983 interdisant une telle décision, si une augmentation était intervenu après le 1er septembre de l'année concernée. Le préfet a tout d'abord demandé gracieusement le 16 février 1986 au maire de la commune de soumettre à nouveau à délibération le barème des restaurants scolaires. Puis finalement, il a décidé de déférer cette décision au tribunal administratif.
Le tribunal administratif, saisi donc de sa demande d'annulation de l'acte pour excès de pouvoir, estima que l'action était irrecevable car exercé hors des délais fixés par la loi pour l'exercice du déféré préfectoral. Estimant ce jugement non conforme au droit, le préfet a interjeté appel de ce jugement. C'est sur cet appel que le Conseil d'Etat se prononce dans cette décision.
Le commissaire de la République, le préfet, prétend que l'irrecevabilité prononcée n'est nullement justifiée, du fait de la demande qu'il avait adressé, en tant que recours gracieux, au maire de la commune et qui avait pour effet d'interrompre le délai dans lequel il pouvait déférer l'acte mis en cause. Il prétend de plus, que la décision d'augmentation des tarifs, prise par la commune est entaché d'illégalité du fait du non respect de l'arrêté préfectoral du 28 décembre 1983, et conclut donc à son annulation.
Au vue de ces prétentions le Conseil d'Etat doit se prononcer sur la question de savoir si un recours gracieux a pour effet, dans le délai du déféré préfectoral, d'interrompre le délai dans lequel un tel recours est recevable. Si tel est le cas, alors le Conseil se prononcera sur la légalité de la décision communale.
Dans son arrêt, le Conseil d'Etat estime que le recours gracieux a bel et bien pour effet d'interrompre le délai de recevabilité du déféré préfectoral, et qu'ainsi le commissaire de la République était en droit, en l'espèce, de déférer l'acte, que son action était recevable. Il estime de plus, suivant les conclusions du demandeur, que la décision de la commune est entachée d'illégalité et doit donc, de ce fait, être annulée.
Cet arrêt nous permet ainsi de dépasser une portée pratique déjà considérable du fait de l'exercice du déféré préfectoral. En effet, dans cet arrêt le Conseil d'Etat établi un principe, ou plutôt étend l'application du principe du recours gracieux à la procédure du déféré préfectoral. Cette reconnaissance, extension est loin d'être sans conséquence. Elle a une incidence considérable sur les délais dans lesquels une telle procédure est applicable. En cela, le Conseil d'Etat veut adapter le droit pour permettre au système institué par la décentralisation de prendre son maximum d'efficacité dans le respect des lois, même si cette jurisprudence peut paraître dangereuse car augmentant les pouvoirs du préfet, et se rapprochant ainsi de l'idée de tutelle.
Pour ces diverses raisons nous étudierons dans une première partie l'élargissement des pouvoirs du préfet dans le cadre du déféré préfectoral, avant d'aborder dans une seconde partie la justification de cet élargissement par la nécessité d'un contrôle de légalité efficace
I) Un élargissement des pouvoirs du préfet dans le cadre du déféré préfectoral
Le déféré préfectoral est un recours juridictionnel, dont il faut d'abord préciser les modalités (A.) avant d'observer que le délai de ce recours est par cette décision prolongé (B.)
A. La procédure du déféré préfectoral
1. Une procédure nécessitée par l'Etat de droit
a. L'exercice des prérogatives de puissance publique réservées à l'Etat
- Etat est unitaire, c'est lui qui a le droit d'édicter des normes, d'user de la force... qui détient donc la puissance publique
- On ne peut tolérer exercice de prérogatives de puissance publique par collectivités sans contrôle de l'Etat
b. Il doit donc toujours pouvoir contrôler les pouvoirs qu'il délègue
- Etat doit être informé des décisions des collectivités locale. Cause d'inconstitutionnalité de loi de 1982 (Conseil Constitutionnel 25 février 1982.) Pour acte grave transmission obligatoire (loi du 2 mars 1982)
- Possibilité d'interrompre rapidement la violation de l'Etat de droit, grâce à demande de sursis à exécution.
2. Les conditions d'exercice
a. la procédure du déféré préfectoral
- Quand préfet estime que acte est illégal, il le défère au tribunal administratif. pour contrôle de la légalité (article 3 loi du 2 mars 1982). Possibilité de sursis à exécution si moyen sérieux. Sursis en urgence si moyen sérieux sur libertés
- Procédure limitée au seul représentant de l'Etat, en raison du caractère dérogatoire de l'action
b. délais identiques à recours pour excès de pouvoir : 2 mois
- Si procédure est dérogatoire elle se rapproche du régime du recours pour excès de pouvoir
- Ainsi délai de recours est limité à deux mois par le législateur
B. L'extension du délai de validité de cette procédure
1. La reconnaissance de la validité du recours gracieux
a. La pratique courante du recours gracieux, non limité au déféré
- le recours gracieux est un recours administratif (comme recours hiérarchiques), donc différent de contentieux. Peut être, et parfois doit être, exercé avant un recours contentieux..
- Ce recours est de plus en plus exercé et demandé avant les recours juridictionnels..
b. Une pratique efficace, car évite action en justice
- Cette exigence découle du fait que si ce le recours abouti, alors il n'y aura pas d'intervention du juge..
- D'où, économie pour la justice, gain de temps pour les intéressés...
2. Des conséquences importantes sur les délais de validité
a. Efficacité de cette pratique dépend de sa possibilité d'exercice
- Mais un tel recours n'aboutit pas forcément à une solution. Il n'est que supplétif, il faut donc ne pas pénaliser ceux qui l'utilisent..
- Cela entraîne qu'il faut admettre à ces personnes la possibilité d'agir juridictionnellement ensuite.
b. Elle a pour conséquence d'interrompre le délai de recours
- Possibilité d'agir suppose nouvelle condition de délai. Nécessité de pouvoir réfléchir sur la réponse implique interruption du délai et non suspension..
- Nouveau délai de deux mois, donc, après la réponse. Si réponse très longue à obtenir, cas des décisions implicites de rejet, alors, le délai peut atteindre 8 mois à partir de la prise de l'acte considéré illégal.
Cette augmentation du délai, par la reconnaissance de la validité du recours gracieux, a pour conséquence nécessaire un accroissement des pouvoirs du préfet en matière de déféré préfectoral. Cette augmentation peut paraître dangereuse pour le principe de décentralisation, mais elle est justifiée et ce danger apparaît limité.
II) Une justification par la nécessité du contrôle de légalité dans le cadre de la décentralisation
Cet accroissement des pouvoirs du préfet peut être envisagé comme un danger de retour vers un pouvoir de tutelle (A.). Cependant ce danger, limité, est justifié par le principe de légalité (B.)
A. Un danger de retour vers un pouvoir de tutelle
1. Recours gracieux peut devenir une menace
a. Par le recours gracieux annonce de l'opinion du préfet
- recours sera effectué sur motif d'illégalité, avec des motifs précis
- dans un recours pour excès de pouvoir connaissance des prétentions seulement au moment du recours, qui est irréversible
b. Pour éviter un éventuel conflit collectivité locale modifiera son acte
- Connaissance des motifs par recours " amiable " peut entraîner leur prise en compte dans l'effet d'éviter un recours " sanction "
- Mais actes ne sont pas forcément illégaux, on veut juste éviter le risque des effets d'un déféré préfectoral
2. Décisions sont alors " confirmées " par le préfet, qui n'a plus la contrainte de déférer
a. Cela implique alors une sorte de confirmation des actes de la commune
- Dès lors que le fait d'éviter ces risques devient une pratique courante alors le préfet est titulaire d'une sorte de pouvoir de confirmation ou d'annulation des actes de la commune
- Un tel pouvoir s'appelle le pouvoir de tutelle, le préfet se comportant comme juge de la légalité
b. Ce qui remet totalement en question le principe de décentralisation
- Or la décentralisation a pour principal but de supprimer ce pouvoir de tutelle, afin d'affranchir les collectivités territoriales de tout pouvoir hiérarchique
- Il y a donc remise en cause totale du principe de décentralisation
B. Un danger justifié et limité par la décentralisation
1. L'existence d'une possibilité de refuser les injonctions du préfet à respect de la loi
a. Recours gracieux ne créé pas d'obligation
- C'est juste une demande, aimablement présentée, elle n'a pas la force d'une décision juridictionnelle ou de la loi
- Elle n'a donc pas de caractère obligatoire, on peut refuser d'y faire droit
b. Il y a donc possibilité de faire stricte application de la loi
- Un refus serait une application stricte des dispositions de la loi de décentralisation, qui ne pourrait leur être reproché
- Les autorités décentralisées n'ont donc à faire face qu'à leur responsabilité, ne doivent que soutenir leur décision, si elle leur paraît légale, ce qui est dans la nature des choses.
2 La nécessité d'un contrôle efficace des actes des collectivités locales
a. L'inutilité d'une procédure contentieuse
- lorsque actes manifestement dûs à une erreur reconnue par son auteur, il est abusif de porter le litige devant le tribunal administratif
- Surcroît de travail qui empêche de contrôler plus précisément des actes plus délicats
b. La nécessité du délai supplémentaire
- Dialogue doit s'instaurer entre les collectivités locales et l'Etat, suppose donc possibilité de réfléchir à la réponse donnée par la collectivités locale
- Ce dialogue justifie donc le délai supplémentaire, et non l'inverse. Le recours contentieux ne doit pas être utilisé en vue d'avoir plus de temps pour estimer la légalité d'un acte (contraire à la loi qui a fixé un délai). Circulaire du 17.11.86, interprétant la décision du conseil va en ce sens.